"A l’OMC, l’échec salutaire d’une négociation dévoyée", tribune de M. Bussereau - 28 juillet 2006

Tribune de M. Dominique Bussereau, ministre de l’Agriculture et de la Pêche, parue dans le quotidien "Le Figaro" du 28 juillet 2006.

A l’OMC, l’échec salutaire d’une négociation dévoyée

Les négociations qui se sont tenues ces jours derniers à Genève, dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), viennent de s’achever sur un constat d’échec. Du fait de divergences persistantes entre les principaux membres de l’OMC, son directeur général, Pascal Lamy, a dû recommander de suspendre sine die les négociations du cycle de Doha. Cette suspension n’est cependant pas le fruit du hasard, mais bien la résultante des déséquilibres persistants qui marquent cette négociation depuis son origine.

Le cycle de Doha est né en 2001 de la volonté de la communauté internationale de trouver une réponse de long terme aux attentats du 11 Septembre. L’idée était d’aider les pays en développement à tirer parti de la mondialisation, en s’insérant dans les flux du commerce mondial. Mais au cours des cinq dernières années, l’ambition du cycle de Doha est allée en se réduisant, et l’objectif initial de développement s’est peu à peu banalisé, au profit d’une négociation organisée pour satisfaire les intérêts exportateurs d’un nombre très restreint de pays.

La négociation s’est excessivement focalisée sur l’agriculture, et, au sein même de la négociation agricole, sur la baisse des droits de douane. Mais pour la France, le cycle ne saurait en aucun cas se réduire à un cycle d’accès au marché agricole. En effet, la focalisation des discussions sur ce sujet fait le jeu d’un petit nombre de pays agro-exportateurs, mais s’opère au détriment des intérêts des pays les plus pauvres. Une étude récente de la fondation Carnegie montre que les pays en développement seraient globalement perdants à une libéralisation du commerce agricole, alors qu’ils seraient largement gagnants à la libéralisation du commerce des biens industriels.

De plus, la concentration excessive de la négociation sur l’agriculture s’est faite aux dépens de l’agriculture communautaire. En effet, l’Union européenne a fait en matière agricole des concessions substantielles.

La politique agricole commune (PAC) était accusée de créer des distorsions sur les marchés mondiaux : pour répondre à cette critique, l’UE l’a profondément réformée en 2003.

Les subventions à l’exportation communautaires étaient accusées de déséquilibrer les marchés des pays les plus pauvres : l’UE a proposé en décembre 2005 à Hongkong de les éliminer à la fin de l’année 2013, à condition que les règles du jeu soient les mêmes pour tous et que les grands pays agro-exportateurs fassent de même.

L’Union européenne a proposé de réduire très substantiellement ses droits de douane agricoles, et cette réduction de notre protection douanière aura des conséquences sur les équilibres socio-économiques de notre marché agricole.

Pour autant, nous n’avons pas vocation à contribuer seuls à la libéralisation commerciale. Les principaux membres de l’OMC, qu’il s’agisse des États-Unis ou des grands pays émergents, doivent eux aussi faire des concessions. Or les États-Unis ont continué leur tactique habituelle, qui consiste à présenter des demandes totalement irréalistes, sans montrer en échange la moindre volonté de réformer leur politique agricole. Cette attitude est largement responsable du blocage des discussions.

L’échec a donc des causes multiples : oubli des objectifs de développement du cycle, excessive concentration des discussions sur l’agriculture, manque de volonté politique de nos grands partenaires. Il conviendra pour l’Union européenne d’en tirer les leçons. La mauvaise tactique de la Commission européenne, consistant à mettre sur la table à intervalles réguliers des offres théoriquement conditionnelles, s’est avérée inefficace : ce faisant, la Commission a fini par atteindre, voire dépasser les limites extrêmes de son mandat de négociation, sans obtenir de contreparties tangibles de ses partenaires.

Évidemment, cet échec n’est pas une bonne nouvelle pour le multilatéralisme. Or le cadre multilatéral reste la meilleure option pour promouvoir des relations commerciales équilibrées et profitables aux pays développés comme aux pays en développement. Mais il n’a jamais été question pour la France d’accepter un accord déséquilibré et contraire à nos intérêts, pour prix de la survie du multilatéralisme. Lorsque vos partenaires refusent de mettre des concessions en face de celles que vous avez mises sur la table, l’absence d’accord est préférable à un mauvais accord. Nous espérons que les négociations pourront reprendre un jour sur des bases plus saines, afin de parvenir à un accord équilibré et favorable au développement, que la France appelle de ses voeux.

Dernière modification : 28/07/2006

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